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Povero Pantalone
Pauvre Pantalone !
Il a Burattin pour serviteur, mais ce dernier ne cesse de le voler
et de s'empiffrer à ses dépens.
Pauvre Pantalone !
Il veut marier sa fille Isabella au vieux docteur Gratiano,
mais elle est amoureuse de Fulvio et nul ne peut rien
contre l'amour ardent de la jeunesse.
Pauvre Pantalone !
Il est amoureux d'Hortensia,
mais elle le rabroue quand il lui fait la cour.
Pauvre Pantalone...
L'Amfiparnaso
C'est en 1597 qu'Orazio Vecchi publie l'Amfiparnaso, comédie madrigalesque qui
raconte en musique les malheurs de Pantalone, héros traditionnel de la Commedia dell'Arte.
Vecchi est l'héritier de l'évolution de l'art du madrigal que les Franco-Flamands
(Ockegem, Josquin des Prés) ont créé quelque 150 ans auparavant. Mais plutôt que de
continuer à composer sur des poèmes précieux et surannés, Vecchi trouve dans le théâtre
populaire une inspiration nouvelle pour une œuvre plus achevée. Il peut ainsi alterner
les scènes de dialogue et les madrigaux pathétiques, le style "léger" et le style "grave",
ce qui sied mieux à ce chanoine amoureux de la vie.
Mais pourquoi ce titre énigmatique ? Quel est ce double Parnasse ? Celui de la musique
bien sûr, mais l'autre, est-ce la comédie, est-ce le théâtre ? Rien n'est moins sûr,
puisque, dans l'introduction de l'oeuvre, Vecchi avertit le spectateur que le spectacle
doit entrer par les oreilles et non par les yeux. Est-ce alors simplement la parole ?
Est-ce pour s'écarter de la décadence du madrigal, pour redonner de l'importance au texte
et préfigurer la "seconda prattica" de Monteverdi ? Cette phrase du prologue a été
souvent avancée pour affirmer que les comédies madrigalesques n'étaient pas jouées sur
scène et pourtant...
Pazzia Senile
Quand Adriano Banchieri entend l'Amfiparnaso, il en est tellement admiratif qu'il
s'en inspire pour plusieurs de ses oeuvres : Il Studio dilettevole, Pazzia Senile,
Prudenzia Giovenile. Mais avec quelles transformations ! Banchieri a tout de suite
compris l'intérêt dramatique de ce genre nouveau. Il écrit ses comédies madrigalesques
avec la ferme intention de les voir jouer au théâtre puisqu'il va même dans Prudenzia
Giovenile jusqu'à écrire des tirades parlées et à donner des indications de mise en
scène. D'aucuns ont soutenu que Banchieri n'était qu'un simple plagiaire devant l'art de
Vecchi. Mais ces prétendues copies procèdent d'un tout autre objectif. Pour Banchieri,
musicien mais aussi dramaturge, l'essentiel est le ressort de l'intrigue et tout doit
contribuer à renforcer l'action dramatique, à rendre vivants et réels les personnages
qui s'animent sous nos yeux.
Povero Pantalone
C'est donc après l'écoute de l'Amfiparnaso que Banchieri écrit Pazzia Senile.
Devant la complémentarité de ces deux oeuvres, la tentation était alors grande de les
réunir pour un enrichissement mutuel : richesse de l'écriture musicale chez Vecchi,
richesse de l'intrigue dramatique chez Banchieri. Cette juxtaposition permet également de
mesurer l'évolution du langage musical entre ces deux auteurs : Vecchi, défenseur de la
chanson populaire, compositeur de frottole, maître de la canzonetta, est au faîte de sa
carrière. Il trouve dans la comédie madrigalesque le moyen d'allier son penchant pour
l'inspiration populaire et sa science de l'écriture musicale.
Son écriture à cinq voix
est très élaborée et les madrigaux Misero, che faro, Ecco che piu non resta et
Lassa, che veggio témoignent de la science de l'écriture du maître de chapelle de
la cour de Cesare d'Este. Banchieri, quant à lui, va pouvoir exprimer ses talents
multiples : musicien, auteur dramatique, animateur musical de la ville de Bologne, il
peut, dans la comédie madrigalesque, insuffler la verve qui l'anime. Après ce premier
essai que constitue Pazzia Senile, il continuera à explorer cette voie pour parvenir
avec Barca di Venetia per Padova à l'aboutissement de ce genre musical.
Les personnages présentés et mis en scène par Vecchi et Banchieri sont les personnages
classiques de la Commedia dell'Arte : le vieux Pantalone, maître des lieux, ne parvenant
jamais à ses fins. Burattin, le serviteur rusé, qui préfigure Scapin. Le docteur Gratiano,
vieillard intellectuel pédant dont on ne peut comprendre le galimatias. Le capitaine
Cardon, bretteur espagnol, sûr de ses conquêtes. La courtisane Hortensia qui ne cesse
d'éconduire l'obstiné Pantalone. Et nos deux jeunes amants : Fulvio amoureux transi et
la mutine Isabella, pas toujours insensible aux charmes de l'uniforme.
Soutenu par l'invention musicale de Vecchi et de Banchieri, tout ce petit monde va tour
à tour nous surprendre, nous émouvoir, nous faire rire, nous attendrir. L'opera buffa
n'est pas loin et la dernière scène de l'Amfiparnaso fait déjà songer au final de
ces opéras, où tous les personnages viennent joyeusement célébrer le dénouement de
l'intrigue.
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